Sur les rapides du Mékong


 
Le lendemain au petit jour, départ quelque peu retardé par le ramassage de tous les ustensiles déballés la veille. Peu après le départ, le courant devient plus fort ; nous approchons des rapides. Sur la berge nous apercevons un pêcheur qui retire ses filets. A côté de lui se trouve une femme accroupie qui reçoit les poissons et les fait cuire aussitôt sur un feu de brindilles entre deux buttes de terre.
 

Rapides sur le Mékong
     

Nous allons arriver au premier rapide réputé dangereux. Tout le convoi stoppe et se rassemble. L’ordre d’arrimer les colis est donné, c’est ce que font tous les chasseurs et les civils. Des lianes tressées longues de soixante à quatre-vingts mètres sont jetées à terre pour être portées à deux kilomètres de là. Tout le monde descend des piromoteurs.

Les militaires restent seuls sur la vedette au poste de combat. Plusieurs fois les Vietminhs ont attendu et attaqué les chaloupes au fusil et à la grenade du haut des rochers qui dominent les rapides.

 

Sur les eaux rouges du Mékong (photo JRP)

Seuls les équipages restés sur les piros civils, attrapent le câble lancé au milieu du rapide, seule possibilité de le franchir, car les moteurs trop faibles et mal entretenus ne pourraient y arriver seuls.

Les six piros franchissent un par un, à la cadence d’un par demi-heure, si tout va bien.

La vedette militaire franchit avec peine le torrent sans l’aide du câble. Son moteur est puissant mais tout le personnel préférerait être à terre plutôt que sur cette coquille de noix lancée d’un tourbillon à l’autre. Il est temps, car le moteur ne pourrait résister plus longtemps à un régime trop poussé.

 
     
Le deuxième piro approche. Le troisième pris dans un remous, ne peut conserver sa position et la force du courant le jette en travers du rapide. L’équipage fait des efforts désespérés, mais doit abandonner le câble, le moteur a calé, cinq hommes sont à l’eau, des caisses mal arrimées et d’autres colis divers emportés par les tourbillons disparaissent bien vite.

Les rapides dangereux du Mékong
 

Le Laos pays montagneux (photo JRP)
Un piro réussit à lancer une corde à laquelle les cinq hommes arrivent à s’accrocher ; il est temps, car ils sont épuisés et étourdis par la violence des remous.

Le quatrième piro a plus de chance, mais l’équipage a pris peur et exige que l’on vérifie la solidité des attaches à chaque extrémité du câble. Ce qui est fait sérieusement. Le moteur tourne rond, mais fatigue énormément. Le piro avance de vingt mètres, puis dans un tourbillon recule d’autant et se retrouve à son point de départ. L’équipage tire sur le câble. La peau des mains est arrachée.
 
     

Les cœurs battent et tout le monde voit la catastrophe, mais non, le mécanicien a réussi à remettre le moteur en route et c’est la descente sur les eaux à plus de 30 kms à l’heure. Ouf ! Mais il commence à faire nuit et le passage des autres rapides n’est plus possible dans un lieu dangereux, il faut attendre le lendemain. L’escorte se met en place et le campement s’organise. La radio est installée et la liaison se fait fréquemment.

 

Comme cette famille Moïs, la population du Laos
est composée de nombreuses ethnies dont
certaines peu intégrées

Le lendemain au jour, tous à la corde et les autres piros passent sans incident grave. Mais il est plus de 11 heures et tout le monde est fatigué. Le regroupement est décidé. On se restaure un peu avec le menu permanent de la région : boule de riz, poisson séché, piment ; la boisson est toute trouvée : l’eau du Mékong, cette eau rouge et sale, au goût insupportable et hélas persistant.

Le voyage continue sans incident. Le soir, peu avant la nuit, nouvel arrêt dans un petit village de dix paillotes environ. Le ravitaillement est épuisé et nous devons vivre sur les ressources de la région.

 
     
Les chasseurs et les civils laotiens demandent des poulets, du riz, du poisson, etc., mais tous reçoivent la même réponse : « Boumy » (il n’y en a pas).

On obtient tout juste un peu de riz, bien que des volailles se promènent à quelques mètres de nous, mais sont vite chassées par les enfants du village. Les mêmes précautions sont prises à cette halte. Le lit laotien n’est pas des plus modernes : une planche, une couverture.

Pêcheur et baigneurs au bord du fleuve
 

Jeune semeuse revêtue du "Shin"
Le lendemain à 12 heures, arrivée à Sannakham où le convoi était attendu depuis plus de 10 heures. Les klaxons sont actionnés. Sur les berges se trouve une foule de gosses nus comme des vers et de femmes vêtues seulement du « Shin » (jupe laotienne) dont l’extrémité supérieure est roulée autour du ventre.
 
A Sannakham ils existent beaucoup de magasins tenus en majorité par des Siamois qui vendent bière, biscuits, vins, etc., mais à quel prix ! 28 piastres la bouteille de bière, 50 piastres la bouteille de vin, mais toujours pas de pain, c’est la boule de riz qui en fait office.

Deux jours après, arrivée à Paklay, poste commandé par un Officier Français qui vit avec sa femme et un enfant de trois ans.

Devant une paillotte